Dans cette équipe, personne ne reste sur la touche. Les joueurs de l’Équipe sans frontières sont tous des migrants. Sur le terrain, ils oublient un temps les méandres de leur parcours administratif, brisent l’ennui, et créent du lien social.
Descendez à Barbès, montez les escaliers de la rue Richomme, et vous les trouverez là. Ballon au pied, sur le terrain du gymnase de la goutte d’or. Une vingtaine d’hommes venus de loin. Le quartier de la célèbre fée verte, si chère à Gervaise Macquart, recueille ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une bonne fée au-dessus de leur berceau …
“Deux fois par semaine on s’entraîne, et le samedi c’est match !” s’exclame Janat. Arrivé d’Afghanistan en 2017, le jeune trentenaire ne connaissait personne à Paris. “Ici je me suis fait des amis, on est une famille maintenant.”
L’Équipe sans frontières, dite ESF Paris, est le seul club de foot français qui permet à des migrants de jouer et d’intégrer une équipe. “Quand je suis arrivé je n’avais pas de papiers français, je venais de faire ma demande d’asile. Les clubs de foot ne voulaient pas me prendre dans leurs équipes.” explique Janat.
Sous leurs chasubles fluorescentes, ces jeunes hommes viennent essentiellement du Maghreb et du Moyen-Orient. La plupart n’ont pas 30 ans. Ils sont arrivés en France il y a quelques semaines, mois ou années. La plupart attendent la réponse de l’OFPRA, à savoir, s’ils obtiendront ou non le statut de réfugié. Le temps est long, l’avenir est flou.. et dans cet horizon trouble, une activité leur redonne le sourire, au moins quelques heures par semaine : le football.
“On fait des matchs de 6 minutes et on tourne. Les gagnants restent sur le terrain, les perdants sortent”, annonce l’entraîneur.
Un parcours du combattant
En 2017, Chloé Cassabois venait d’arriver en France. “Je passais mon temps à lire à la BU, à rédiger de longues dissertations… et à côté de ça, la crise migratoire s’empirait en Angleterre. J’ai compris que si je voulais être utile, il fallait que je quitte la BU.” La franco-britannique abandonne Londres pour Paris et s’engage aux côtés du bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, comme professeure de français langue étrangère. “C’est en faisant du bénévolat que je me suis rendue compte que tous les migrants que j’accompagnais étaient fan de foot !
En cours de langue c’était génial, même les plus timides prenaient la parole quand il s’agissait de parler football.” Mais quand elle leur demande s’ils jouent au foot, tous se désolent de ne pouvoir rechausser les crampons .. Barrière de la langue, usine à gaz administrative, manque de contacts… les visages se ferment.
“Ils ne peuvent pas jouer dans des clubs car ils n’ont pas de papiers et on ne peut pas leur faire de licence.., » explique Chloé Cassabois.
Les collègues de la jeune professeure de langue l’encouragent à monter une association. “J’avais un peu peur, je connaissais très peu le système français, je ne parlais pas encore parfaitement le langage administratif, c’était compliqué. Mais il y avait une vraie demande.” À 25 ans, Chloé Cassabois se lance dans l’aventure : créer une équipe de foot pour les migrants. De réunions en réunions, elle se bat pour faire exister l’Équipe sans frontières. “J’ai été très vite confrontée au sexisme. J’étais une femme, souvent seule, à représenter le projet. Et en plus une association de football.. On me demandait souvent si je connaissais les règles.”
Association fondée et terrains trouvés, les joueurs affluent en nombre. Les organismes et associations d’accueil aux migrants dirigent les intéressés vers l’ESF.
Une équipe et plus si affinités
“L’idée ce n’est pas seulement de jouer au football, c’est de s’exercer à parler français, rencontrer du monde et sortir, ne serait ce que quelques heures, de leur quotidien rythmé par des démarches administratives et de longues semaines d’attente”, ajoute Chloé Cassabois.
“Janat tu rentres !” crie l’entraîneur. Julien accompagne Chloé depuis le début. “Moi je suis militant depuis des années, alors quand on m’a parlé du projet ça m’a tout de suite plu. C’est génial de pouvoir leur offrir ça mais il ne faut pas oublier que si on existe c’est quand même qu’il y a un problème derrière..”
Entre deux matchs, Julien rappelle aux joueurs que dans deux jours ils ont match. Tous ne rejoignent pas l’équipe FSGT car il n’y a pas assez de places. Mais les entraîneurs essaient de faire tourner l’effectif.
“Il faut jongler entre les présences, les absences et puis beaucoup ne sont à Paris qu’un temps car après ils sont transférés, non pas de club en club, mais un peu partout en France sur décision administrative .. et forcément ils ne peuvent pas continuer”, conclut Julien dans un soupir.
Les joueurs, “c’est un turn-over permanent”, confirme Chloe Cassabois. Elle, regrette aussi que l’ESF ne compte que des joueurs et pas de joueuses … “on avait une équipe féminine mais avec le covid tout a été anéanti.” Elle espère intéresser à nouveau des joueuses pour relancer la section : “on fait en sorte que tous les blocages, toutes les craintes qu’elles peuvent avoir soient résolues.”
La présidente aimerait également que le club puisse accueillir encore plus de monde mais les terrains parisiens sont pris d’assaut et les créneaux manquent … en attendant, pour venir supporter l’Équipe sans frontières de Paris, rendez-vous tous les samedis en début d’après-midi au Stade Louis Lumière du 20e arrondissement de Paris.
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