En 2023, le monde de l’Alpinisme a été secoué par un double tremblement de terre. La percée soudaine d’une nouvelle figure de la discipline ainsi que l’épreuve qu’elle a traversée sont à la fois l’histoire d’une belle ascension et un récit de survie à plus de 7000m d’altitude. Retour sur l’arc de Baljeet Kaur, la nouvelle figure de proue de l’alpinisme indien.
Survivre à plus de 8000m d’altitude. La mise en avant devenue régulière des exploits de haute montagne semble avoir érodé la notion de danger associée à un tel projet. L’histoire de Bajleet Kaur vient le rappeler cruellement et il s’en est fallu de peu pour que son nom ne vienne grossir le nombre de ceux qu’on ne lit plus. De ceux qui ont essayé, qui ont rebroussé chemin ou qui sont restés là-haut.
L’alpinisme extrême demeure un monde particulier, où la valeur de la vie se mesure différemment. Derrière les histoires d’expédition dans les chaînes himalayennes, la mort est présente partout. Le risque est quantifié, mesuré, accepté ; et le pire arrive. Il est courant d’en être victime ou témoin, tandis que les opérations de secours ne sont menées que lorsqu’elles sont possibles. Au-delà de 7500m, ceux qui restent ne redescendent jamais.
Ce milieu a été le témoin d’une petite révolution cette année 2023 portée par une femme, l’indienne Bajleet Kaur. A l’âge de 27 ans, son ascension rapide lui vaut désormais d’être la figure leadeuse de l’alpinisme indien. Son parcours est celui d’une femme qui a tout donné pour être là où elle est, et qui a battu une série de records.
L’alpinisme selon Bajleet Kaur
Alors qu’elle grandit dans l’état septentrional de Himachal Pradesh dans l’Himalaya indien, son rapport à la montagne s’est scellé lorsqu’en 2014 elle intègre les cadets de l’armée indienne. L’institution organise alors une expédition vers une petite colline tout à fait inconnue : l’Everest !
A seulement 18 ans, elle manque de peu le sommet du toit du monde en essuyant une chute qui l’oblige à abandonner à peine à 300 mètres du but !
Mais frustrée et décidée à y retourner, elle se met à pied d’œuvre pour se financer et s’entraîner. Pendant des années, elle ne se détourne plus de son objectif. Donnant des cours de yoga, des cours de danse, de couture, et en guidant des expéditions outdoors.
Tout en poursuivant ses études, elle travaille comme domestique dans des familles aisées, faisant le ménage et cuisinant. Ses parents, qui ne possèdent qu’une modeste ferme, soutiennent autant que possible les aspirations de leur fille. Les efforts sont en effet sur le point de payer.
La première indienne, tout court !
Dans le milieu de l’alpinisme, les sommets de plus de 8000m forment un panthéon restreint et connu. Leurs noms sont dans les esprits et sur les lèvres. Ils sont l’outil de mesure, la valeur étalon. Banljeet, elle, commence en 2021 et devient la première femme indienne à gravir le Dhaula Giri au Népal, 8167m.
Mais la consécration lui est survenue en 2022 lorsqu’elle est devenue la première indienne, tout court, à escalader 4 sommets de plus de 8000m en une seule saison ! L’effort physique et la préparation nécessaire sont colossaux. Entre autres cîmes, elle s’est frayée un chemin jusqu’aux sommets de l’Everest ainsi que son voisin Lhotse. Ainsi venge-t-elle sa première tentative.
Annapurna, la montagne en colère
Mais en début d’année 2023, Bajleet Kaur veut tenter une ascension plus complexe. Alors que l’attention se dirige toujours vers le Mont Everest qui est certes le toit du monde, le mont Annapurna s’établit à 8091m d’altitude. Le dixième sommet le plus haut du monde est en réalité le plus mortel et dangereux. Bajleet veut l’atteindre sans oxygène.
Annapurna porte le nom de la déesse Hindoue de la fertilité et du nourrissement. Elle porte aussi une effroyable statistique : 30% de ceux qui tentent son ascension vont perdre la vie. Une personne sur trois ne reviendra pas.
Un mois à peine avant la tentative de Bajleet, en avril 2023, l’athlète et alpiniste irlandais Noel Hanna y perdait la vie. Sportif et aventurier chevronné, il avait plus de 20 ans d’expérience et gravi l’Everest pas moins de 10 fois. Il est le premier irlandais à avoir réussi le K2 en saison d’hiver. Annapurna ne lui a laissé aucune chance.
Secourue in extremis !
Tout commence le 17 avril 2023, mal. Arrivée au camp de base, elle apprend la désertion de son guide sherpa ce qui la retarde, elle rate la fenêtre idéale pour monter. Accompagnée de deux sherpas inexpérimentés, elle atteint le sommet alors que le jour commence à manquer.
Atteinte de très sévères hallucinations, elle se voit de retour dans sa famille pour échanger des cadeaux. Elle est en réalité à 300m du sommet dans la zone la plus dangereuse. Alors qu’elle s’effondre inconsciente, les sherpas doivent la laisser là pour sauver leurs vies. Dans les heures qui suivent, elle est portée disparue et donnée pour morte par les autorités.
Dans la nuit, Bajleet est tirée de ses hallucinations et se réveille seule, en hypothermie, les extrémités gelées. Se giflant le visage, elle entame une lente descente vers le camp IV à 1500m du sommet. Alors que le jour se lève, à mi-chemin du camp elle est repérée et secourue par hélicoptère. Son état est grave, elle aura passé 36 heures sans nourriture, sans eau et sans oxygène au sommet d’Annapurna.
Une représentante de l’alpinisme en Inde
En survivant à son épreuve, elle est devenue la première Indienne à boucler 5 sommets de plus de 8000m. La nouvelle de son sauvetage s’est répandue comme une traînée de poudre et a surtout attiré l’attention sur l’alpinisme extrême, peu pratiqué en Inde.
Baljeet Kaur en est devenue le visage principal et entend bien continuer à sillonner la chaîne Himalayenne. Il est certain que la communauté de la montagne va continuer à entendre parler d’elle.
Adrien Tydgadt